L’article 1844-7 du code civil énumère les causes générales de dissolution d’une société qui marque la fin d’une entreprise.

Le 5ème alinéa de cet article dispose : « La société prend fin par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d’un associé pour justes motifs, notamment en cas d’inexécution de ses obligations, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société ».

Tous ces exemples démontrent que la dissolution pour mésentente entre associés est le plus souvent prononcée dans les sociétés dominées par l’intuitu personae (société créée en fonction de la personne des associés à l’inverse des sociétés d’actionnaires) :  Cass. com., 21 juin 2011, no 10-21.928, et dans l’hypothèse où elle paralyse le fonctionnement de la société : Cass. com., 21 oct. 1997, no 95-21.156.

C’est dire qu’elle n’a pas lieu d’être prononcée lorsque les assemblées générales de la société se déroulent normalement et plus généralement, lorsque la preuve d’une certaine paralysie du fonctionnement de la société n’est pas rapportée.

 

Alors quelles sont les solutions avant la saisine du juge ?

La médiation, la conciliation ou le retrait d’un associé, par le rachat notamment de ses parts par les autres associés ou par la société, suffisent parfois à calmer les tensions et à éviter la dissolution. Les statuts de la société prévoient parfois des solutions de retrait d’un associé ou les modalités de rachat de ses parts. Ce qui est assez positif si ce retrait débloque la situation.

Le retrait d’un associé

A la différence d’une cession, le retrait n’oblige pas l’associé retrayant à trouver un acquéreur, c’est-à-dire un successeur qui prendrait sa place dans des parts sociales maintenues.

Autrement dit,  l’associé  qui veut se retirer pourra quitter la société au moment de son choix en obtenant que celle-ci ou de ses associés,  le remboursement de la valeur de ses droits sociaux.

Attention, ce retrait ne s’effectuera pas au préjudice des droits des tiers et notamment des créanciers sociaux. L’associé qui s’est retiré demeure donc tenu du passif existant avant que le retrait n’ait été rendu opposable aux tiers et d’ailleurs il ne perd sa qualité d’associé qu’après remboursement de la valeur de ses droits sociaux (Cass. com., 17 juin 2008, no 06-15.045 ; Cass. com., 27 juin 2018, no 16-18.687).

Les statuts prévoient parfois  la valeur des droits sociaux en cas de retrait,  ou du moins le mode de leur calcul ; si l’associé retrayant conteste la valeur ainsi trouvée ou si les statuts ne prévoient rien, un expert sera désigné, soit par les parties, soit par le juge, selon une  procédure « accélérée au fond » et sans recours possible.

Ce retrait entraîne la dissolution de la société si celle-ci comprenait deux associés et si l’associé sortant cède ses parts à l’autre. Si, en revanche, l’associé sortant cède ses droits sociaux à un tiers qui devient associé,  le retrait ne conduit nullement à la dissolution de la société et n’a donc aucune incidence fiscale sur celle-ci.

Si aucune de ses solutions ne fonctionnent, il convient de saisir le tribunal judiciaire ou le tribunal de commerce, selon la forme sociale, du lieu du siège social de la société pour obtenir la dissolution de cette dernière pour juste motif.

 

Mais que doit-on entendre par justes motifs ?

1/ Inexécution par un associé de ses obligations

Le premier des « justes motifs » invoqué expressément par le Code civil est l’inexécution par un associé de ses obligations. Ce motif joue rarement en pratique, le législateur a prévu en effet des sanctions spécifiques dans de nombreux cas de manquements. Par exemple le défaut de libération des sommes dues sur le montant des actions souscrites est sanctionné par la privation du droit d’accès aux assemblées générales, des droits de vote, la suspension des droits aux dividendes etc…

Cependant, le fait de travailler pour un concurrent ou de ne pas notifier sa décision de retrait au gérant et de reprendre les apports effectués en nature contrairement aux statuts ont pu être reconnus comme justes motifs de dissolution.

2/Mésentente entre associés

Le second critère, le « juste motif » visé par le Code civil est la mésentente entre associés qui est le motif, de loi, le plus courant à l’appui des demandes de dissolution.

La partie qui saisit le juge  à cet effet doit démontrer un manquement grave, répété et permanent des obligations sociales et professionnelles de son coassocié ainsi que de la mésentente permanente existant entre eux pour justifier sa demande de dissolution judiciaire de la société.

Il est utile de rappeler que le droit d’agir en dissolution judiciaire appartient à chacun des associés  de la société et que cette action doit être exercée non seulement à l’encontre du ou des coassociés auxquels la cause de dissolution est imputable mais également à l’encontre de la société elle-même, qui pourra présenter, le cas échéant, tous les arguments utiles à sa survie. Il s’agit d’une prérogative d’ordre public dont chaque associé est titulaire et qui ne peut être soumise à aucune restriction statutaire.

 

Une jurisprudence constante refuse cependant le droit d’agir à l’associé à qui la mésentente est imputable (Cass. 1re civ., 25 avr. 1990, no 87-18.675, peut-être afin d’éviter que le fauteur de trouble puisse tirer profit de ses mauvaises actions.

Pour la Cour de cassation, il appartient aux juridictions du fond de déterminer à qui est imputable la mésentente ou de conclure à l’impossibilité de procéder à cette imputation en cas de partage des responsabilités, pour pouvoir prononcer la dissolution judiciaire « à torts partagés », pour autant que la paralysie du fonctionnement de la société soit constatée ( Cass. com., 10 sept. 2013, no 12-20.523).

 

Bien que ces motifs de comportement fautif et de mésentente puissent intervenir dans n’importe quelle forme de société, de tels motifs sont fréquemment soulevés dans des sociétés dans lesquelles l’intuitu personae est fort, comme les structures familiales comme une société créée entre un père et ses enfants : Cass. com., 28 mai 2013, no 12-20.287 ou entre un frère et ses sœurs : Cass. com., 13 juill. 2010, no 09-16.102, ou dans  les sociétés civiles où l’affectio societatis et le jus fraternitatis sont très présents (ex : Cass. 1re civ., 18 mai 1994, no 93-15.771 ; Cass. 1re civ., 28 janv. 2010, no 08-21.036) ou encore les sociétés d’exploitation agricole (Cass. com., 28 mai 2013), et enfin dans les SNC (Cass. com., 13 févr. 1996, no 93-16.238 ; Cass. com., 10 sept. 2013, no 12-20.523),

 

Ressources avocats

La proximité entre les associés ou la répartition égalitaire des actions exacerbent en effet la gravité de la mésentente quand survient un désaccord. Ceci n’est pas étonnant : un conflit grave et latent qui s’établit entre associés s’étant mutuellement choisis pour réaliser ensemble un projet commun au sein d’une structure sociétaire ne peut révéler que la disparition de l’affectio societatis qui les avait animés lors de la structuration de ce projet. Or, l’affectio societatis, défini généralement comme « une volonté de collaborer activement et de manière intéressée et égalitaire » ou comme l’expression d’« une volonté d’union et de convergence d’intérêts » est une condition indispensable à la pérennité du contrat de société.

Ont également été reconnus justes motifs de dissolution :

 

 

    • — s’il y a impossibilité pour une société anonyme d’avoir un conseil d’administration et un P-DG, aucune majorité ne pouvant se dégager en raison du désaccord entre deux groupes d’actionnaires possédant chacun une moitié du capital social ( com., 16 févr. 1970, no68-13.764) ;
    • — lorsqu’aucune majorité ne se dégage pour faire fonctionner normalement la société, notamment pour pourvoir à la désignation de nouveaux administrateurs (CA Paris, 3e B, 27 juin 2003) ;
    • — lorsque l’associé majoritaire, également gérant, prend seul toutes les décisions sociales, ne régularise pas la situation malgré la constatation de la perte de la moitié du capital ainsi que de pertes supplémentaires au cours d’exercices ultérieurs, est condamné à verser une somme importante à son coassocié (CA Paris, 12 nov. 1985, BRDA 1986, no5, p. 8) ;
    • — lorsque la mésentente entre les associés est grave et permanente et que le défaut d’affectio societatisest tel que le mandataire ad hoc désigné n’a pas pu accomplir positivement sa mission (CA Paris, 3e A, 5 mars 2002, RJDA 2002, no 770);
    • — lorsque l’affectio societatisfait défaut entre deux associés égalitaire et que cette situation entraîne une paralysie de la société ( 3e civ., 18 déc. 2001, no 00-16.069;  Cass. com., 10 mai 2011, no 10-16.323, RJDA 2011, no 629), en empêchant que soit prise la moindre décision portant sur le moyen ou le long terme ( Cass. 3e civ., 28 janv. 2009, no 07-21.890).
    • — lorsque la mésentente paralyse le fonctionnement de la société et empêche la décision d’augmentation du capital social au minimum requis par la loi (CA Paris, 3e A, 17 déc. 1991), ou encore ne permet pas la gestion du fonds de commerce de la société (Cass. com., 19 sept. 2006, no 03-19.416) ;
    • — lorsque la mésentente est telle que les résultats sociaux se sont effondrés depuis sa survenance, et qu’elle est encore aggravée par les statuts de la société en nom collectif qui, en l’espèce, soumettent à la loi de l’unanimité l’adoption des décisions collectives autres que la révocation du gérant (CA Paris, 5e C, 25 mars 1993, Sté Nollet c/Salon, Rev. sociétés 1993, p. 661, obs. Guyon, BRDA 1993, no13, p. 4, JCP E 1993, I, 288, p. 486, obs. Viandier et Caussain et, sur pourvoi, Cass. com., 12 mars 1996, no 93-17.813, Dr. sociétés 1996, no 96, obs. Bonneau, JCP E 1996, II, 831, note Paclot, Rev. sociétés 1996, p. 554, note Bureau, RJDA 1996, no 926, D. 1997, jur., p. 133, note Langlès) ;
    • — lorsque la société se trouve paralysée et dans l’impossibilité de trouver une solution en vue de redresser ses comptes du fait de l’abstention de l’associé demandeur en dissolution et de son refus de céder ses parts (CA Montpellier, 2e B, 18 juin 2002) ;
    • — lorsque l’associé majoritaire gérant et utilise la société comme si elle était son affaire personnelle, sans tenir compte des intérêts de l’autre associé (CA Paris, 5e C, 26 janv. 1996) ou sans respecter les règles relatives aux assemblées et à l’information des associés (CA Versailles, 12ech., 18 mai 1995, SCI Alsace Guadeloupe c/Trillard, Bull. Joly Sociétés 1995, p. 869, note Daigre) ;
    • — lorsque la rupture de la vie commune entre deux concubins ayant créé une SARL rejaillit sur le fonctionnement social en empêchant toute prise de décision collective et la tenue des assemblées (CA Pau, 2e, 13 mars 2008, no06/03795) ;
    • — lorsque des associés se sont constitués partie civile à l’encontre du gérant associé pour abus de confiance, et ce même si un non-lieu intervient ensuite (CA Paris, 10 mai 2011, no10/08998, Bull. Joly Sociétés 2011, p. 565) ;
    • — lorsque, dans le cadre d’une SCI, la mésentente est telle qu’elle empêche de prendre en temps utile des décisions, y compris opportunes, en conformité avec les statuts ( com., 10 mai 2011, no10-16.323, ; Cass. 3e civ., 26 nov. 2015, no 14-22.077; Cass. 3e civ., 25 janv. 2018, no 17-10.353);
    • — lorsque, dans une SCP de notaires, le conflit  paralyse le fonctionnement de la société en empêchant l’adoption de délibérations pour lesquelles les statuts exigent l’unanimité, met en péril l’avenir économique de l’office, atteint la réputation de l’étude et même de la profession, et qu’aucune issue amiable au litige n’est envisageable ( 1reciv., 16 oct. 2013, no 12-26.729) ;
    • — lorsqu’un avocat et une société d’expertise comptable sont associés égalitaires d’une société civile de moyens et que le conflit dur et persistant opposant cet avocat et le dirigeant de la société d’expertise comptable exclut tout affectio societatiset paralyse le fonctionnement de la société : retard dans le règlement des fournisseurs, coupure brutale de l’accès internet par l’un des cogérants, absence de tout budget prévisionnel, impossibilité depuis quatre ans de tenir une AG annuelle d’approbation des comptes… (Cass. com., 23 juin 2015, no 14-16.025) ;
    • — lorsque la paralysie du fonctionnement de la société consécutive au conflit entre associés se traduit par l’existence d’actions judiciaires engagées par un associé contre son coassocié, par la signature par le gérant d’un compromis de vente d’un immeuble social sans l’accord préalable des associés prévu par les statuts et par l’absence de prise de décision collective sur l’affectation des résultats ( 3eciv., 23 févr. 2017, no 15-28.792) ;

 

 

Société de fait

Une telle société résulte, en général, de personnes qui agissent entre eux et à l’égard des tiers comme des associés, et cela sans en avoir conscience. L’objet d’une telle société peut être civil (à l’instar des concubins) ou commercial.

Le juge vérifie l’existence des caractéristiques suivantes avant de qualifier une société de fait :

1/— l’affectio societatis : qui est l’intention, la volonté de s’associer, de collaborer à une œuvre économique commune. La simple assistance, la simple entraide, ne saurait suffire à constituer l’affectio societatis. Par exemple, l’existence d’un contrat de travail, qui suppose un lien de subordination, exclut l’affectio societatis et empêche donc l’existence d’une société de fait. En revanche, le statut de collaborateur n’est pas incompatible avec l’existence d’une société de fait (Cass. com., 10 juill. 2007, no 06-11.938) ;

2/— les apports : les biens mis par chacun à la disposition de l’autre pour permettre aux deux partenaires d’accomplir leur projet peuvent être considérés comme apports en nature ou en numéraire (compte joint, biens exploités en commun). Mais ce sera surtout le travail fourni, la mise à disposition de connaissances, de techniques qui constitueront des apports en industrie ;

3/— le partage des bénéfices ou économies et des pertes : il faut que les associés réalisent des économies à l’occasion de la mise en œuvre de leur projet commun et qu’ils se les partagent.

 

 

Dissolution société de fait

Suivant les dispositions des articles 1872.2 et 1873 du code civil  la dissolution d’une société créée de fait peut résulter à tout moment d’une notification adressée par l’un d’eux à tous les associés pourvu que cette notification soit de bonne foi, et non faite à contretemps. Si ces deux conditions ne sont pas remplies, le juge statuera.

 

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